La maîtrise des dépenses énergétiques n’est plus une simple question budgétaire — c’est un levier stratégique pour la compétitivité et la pérennité des entreprises.
Avec la disparition de l’ARENH, les prix de l’électricité et du gaz dépendent désormais intégralement des marchés de gros européens, rendant les coûts plus volatils que jamais.
Dans ce contexte, la mise en place d’un prévisionnel énergétique fiable est essentielle pour anticiper les hausses, planifier les achats et piloter sa consommation de manière éclairée.
Le Lab des Énergies vous présente une méthodologie technique et structurée pour élaborer un prévisionnel pertinent et exploitable.
Objectif du prévisionnel énergétique : anticiper et piloter
Un prévisionnel énergétique vise à projeter la consommation et le coût global de l’énergie (électricité et gaz) sur une période de 12 à 36 mois.
Il ne s’agit pas simplement d’un budget comptable, mais d’un outil de simulation technique et stratégique, fondé sur trois piliers interdépendants :
- La consommation prévisionnelle (en kWh ou MWh) à partir des données historiques et d’hypothèses d’évolution.
- Les composantes tarifaires réglementées : TURPE, accise, CTA, TCFE, TVA…
- Les scénarios de prix de marché, en intégrant la volatilité du spot et des futures.
L’objectif est d’obtenir un coût complet projeté exprimé en €/kWh et €/an, selon plusieurs hypothèses (scénario haut, bas, moyen).
Collecter les données sources : mesurer avant de projeter
Avant toute projection, il faut consolider une base de données fiable. Cette collecte doit couvrir au moins deux à trois années glissantes et englober les dimensions technique, contractuelle et contextuelle.
Données de consommation
Les données de consommation constituent la fondation du prévisionnel. Elles proviennent principalement :
- des factures d’énergie (électricité/gaz) sur 24 à 36 mois ;
- des données de comptage ENEDIS ou GRDF (télérelève, profil de charge horaire, puissances appelées) ;
- et des données internes : horaires de production, surface chauffée, équipements, etc.
Sur cette base, on calcule plusieurs indicateurs essentiels :
- Consommation annuelle totale (kWh/an)
- Puissance souscrite (kVA) vs puissance maximale appelée (kW)
- Ratio énergétique : kWh/m², kWh/poste, kWh/unité produite
- Prix unitaire moyen (€ / kWh) = coût total / consommation annuelle
Données contractuelles
Les informations contractuelles permettent d’intégrer les conditions spécifiques de votre contrat actuel :
- Type de contrat : prix fixe, indexé, à terme, offre flexible ou PPA.
- Indexation tarifaire : sur les marchés PEG, EPEX Spot, CAL Base/Peak, EEX Futures.
- Échéances et clauses contractuelles : durée, volumes résiduels, options de sortie.
Données contextuelles
Enfin, les variables externes doivent être intégrées à la modélisation :
- Températures moyennes (Degrés-Jours Unifiés – DJU) pour corriger les effets climatiques.
- Évolutions d’activité : croissance, extension de site, nouveaux équipements.
- Actions d’efficacité énergétique prévues : LED, GTB, rénovation, récupération de chaleur, etc.
Analyser et normaliser les historiques de consommation
Une fois les données collectées, il est indispensable de les fiabiliser et normaliser pour obtenir une vision exploitable. Cette étape permet de supprimer les biais dus aux anomalies, à la météo ou à l’activité.
Nettoyer et homogénéiser les données
Commencez par un nettoyage méthodique :
- éliminez les périodes d’estimation ou d’arrêt d’activité partiel ;
- convertissez toutes les données en kWh ;
- isolez les sites à comportement atypique pour éviter les biais de moyenne.
Corriger selon les conditions climatiques
Pour neutraliser l’effet météo, appliquez une correction climatique à l’aide des DJU :
Consommation corrigée = Consommation réelle × (DJU de référence / DJU période observée)
Cela permet de comparer équitablement deux périodes d’activité ayant connu des hivers plus ou moins rigoureux.
Identifier le profil de charge électrique
L’analyse des courbes de charge (si disponibles via ENEDIS) apporte une vision fine du comportement énergétique :
- répartition heures pleines / heures creuses,
- facteur de charge :
Facteur de charge = Consommation annuelle / (Puissance max × 8 760 h),
- et détection des pics de puissance entraînant des surcoûts ou pénalités.
Un facteur de charge inférieur à 0,5 indique généralement une puissance souscrite surdimensionnée, donc un potentiel d’économie.
Construire les scénarios de consommation
L’objectif de cette étape est de projeter la consommation future, en tenant compte des évolutions techniques, climatiques et organisationnelles. Avant d’appliquer les scénarios de prix, il faut d’abord modéliser les volumes prévisionnels.
Extrapolation historique
Une méthode simple consiste à extrapoler les consommations passées :
✔︎ Consommation prévisionnelle = Consommation moyenne (3 ans) × (1 + variation d’activité ± climat)
Cette formule peut être affinée en intégrant les taux de croissance de production, les heures de fonctionnement supplémentaires ou la mise en service de nouveaux sites.
Ajustements structurels
Les ajustements peuvent concerner :
- L’ajout de surfaces : m² × consommation moyenne du poste (ex : 120 kWh/m²/an pour des bureaux).
- L’intégration de nouvelles machines : puissance nominale × heures d’utilisation × facteur de charge.
- Les économies attendues : gains liés à la LED, GTB, isolation, récupération de chaleur…
💡 Exemple concret :
Une PME tertiaire de 1 000 m² consommant 140 MWh/an installe un système de GTB (-8 %) et des LED (-12 %).
Sa nouvelle prévision devient : 140 × (1 - 0,08 - 0,12) = 115 MWh/an.
Intégrer les scénarios de marché post-ARENH
Depuis la suppression du dispositif ARENH, les tarifs professionnels sont entièrement indexés sur les marchés de gros. Les prix sont déterminés par l’équilibre offre/demande, la disponibilité nucléaire, les conditions climatiques et les coûts du CO₂.
Références de marché
Les principaux indices utilisés pour les prévisionnels sont :
- EPEX SPOT (Day-Ahead) : pour les offres indexées au jour le jour,
- EEX Futures / CAL Base / CAL Peak : pour les contrats à terme (1, 2, 3 ans).
Scénarios tarifaires
Pour modéliser les risques, on retient généralement trois hypothèses :
- Scénario haussier : tension sur la production ou le gaz → +20 à +30 %.
- Scénario stable : maintien autour des valeurs CAL Base actuelles (90–110 €/MWh).
- Scénario baissier : détente des marchés → 70–80 €/MWh.
Chaque scénario est appliqué à la courbe de charge prévisionnelle pour en déduire :
- un coût global annuel (€),
- un prix moyen au kWh (€ / kWh),
- et une fourchette de volatilité selon le risque de marché.
Intégrer les composantes tarifaires et fiscales
Pour obtenir un coût complet, il faut additionner à l’énergie pure les frais d’acheminement et les taxes.
Acheminement (TURPE)
Le TURPE 6 HTA-BT (2025–2029) est fixé par la CRE et dépend :
- de la puissance souscrite,
- du niveau de tension (BT, HTA),
- du profil de consommation (C5, P13, etc.).
Les hausses annuelles suivent l’inflation + facteurs d’évolution de réseau.
Fiscalité énergétique
Les composantes fiscales à inclure sont :
- Accise sur l’électricité (ex-CSPE) : 25,79 €/MWh (2025).
- CTA (~2 % de la part acheminement).
- TCFE : jusqu’à 0,75 €/MWh selon la collectivité.
- TVA : 20 % sur l’ensemble (énergie + taxes + TURPE).
Leviers d’optimisation
Certaines entreprises peuvent réduire leur fiscalité grâce à :
- Exonération totale ou partielle d’accise pour les activités électro-intensives.
- Regroupement de sites pour optimiser le TURPE.
- Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) pour compenser une partie des investissements.
Ces leviers doivent être intégrés au modèle dès la phase de simulation.
Construire le modèle prévisionnel
Un prévisionnel robuste repose sur un modèle de calcul clair.
Le tableau ci-dessous illustre les variables nécessaires :
🟢 Formule de synthèse : Budget prévisionnel = (Conso × (Prix marché + TURPE + Taxes)) × (1 - gains EE)
Pour sécuriser le résultat, ajoutez une marge d’incertitude de 10 à 15 % liée à la volatilité du marché.
Suivre et recalibrer le prévisionnel
Un prévisionnel n’a de sens que s’il est actualisé régulièrement. Le suivi des écarts entre le prévu et le réalisé permet d’ajuster les hypothèses et d’affiner la stratégie d’achat.
Les indicateurs clés à suivre mensuellement sont :
- Consommation réelle vs prévisionnelle (écart %)
- Coût moyen réel (€ / kWh)
- Ratio énergétique (kWh/m², kWh/CA)
- Dépassements de puissance et pénalités
- Impact des actions d’efficacité énergétique
Des outils comme Power BI, GTB/GTC, ou des plateformes de monitoring (Energisme, Datanumia, METRON) facilitent l’analyse dynamique. Un recalage semestriel est recommandé pour intégrer les variations de prix et de production.
Le rôle du courtier dans la fiabilisation du prévisionnel
Le courtier en énergie joue un rôle central dans la consolidation et la fiabilisation du prévisionnel. Grâce à sa connaissance du marché et des contrats, il peut :
- analyser les données multi-sites,
- modéliser des scénarios de prix à terme,
- évaluer les meilleures fenêtres d’achat,
- et intégrer les leviers fiscaux et réglementaires propres à chaque activité.
En croisant l’analyse technique et la lecture du marché, il aide l’entreprise à maîtriser ses coûts énergétiques tout en sécurisant ses engagements contractuels.
Conclusion
Réaliser un prévisionnel énergétique fiable nécessite une approche rigoureuse, mêlant données techniques, intelligence de marché et connaissance réglementaire.
C’est un véritable outil de pilotage stratégique, permettant aux entreprises d’anticiper, d’optimiser et de sécuriser leur budget énergie.
Dans un environnement post-ARENH marqué par la volatilité, les entreprises qui prévoient gagnent en résilience.

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