Depuis le mois de mars, la Russie intensifie ses bombardements sur les installations énergétiques ukrainiennes. Le pays en guerre depuis février 2022 vit une situation critique qui pourrait être dramatique cet hiver. La guerre fragilise aussi l’approvisionnement de gaz en Europe.
Les installations énergétiques, au coeur du conflit
L’incendie qui s'est produit le dimanche 11 août 2024 dans l’une des tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Zaporijia en Ukraine, est “sous contrôle” assurent les autorités russes dans cette zone occupée depuis deux ans.
La plus grande centrale nucléaire du continent a subi depuis le début du conflit en février 2022, différentes attaques que Kiev et Moscou s’imputent mutuellement.
Aujourd’hui, même si les six réacteurs sont à l’arrêt, ces incidents suscitent le risque d’un accident catastrophique. Rafael Grossi directeur de l’agence internationale sur l’énergie atomique appelle à « cesser » de telles « attaques irresponsables qui […] augmentent le danger d’un accident nucléaire ».
Depuis le début du conflit, les infrastructures énergétiques ukrainiennes ont été visées par des attaques ennemies. De la destruction du barrage hydroélectrique de Khakovka le 6 juin 2023 aux différents bombardements de centrales thermiques, ou de réserves souterraines de gaz, les installations du pays sont à l’agonie.
Les conséquences directes de ces attaques
Avant la guerre, l’Etat ukrainien produisait environ 55 GWh d’électricité, une capacité qui a chuté de 35 GWh à cause des destructions. Le plus gros fournisseur privé du pays DTEK aurait perdu 90% de sa capacité de production. Dans un rapport publié en juin, la Kiev Sschool of Eeconomics estime à 16 milliards de dollars le coût de ces dommages.
Les sabotages de ce type se sont intensifiés depuis le mois de mars alors que la Russie s’engage dans une nouvelle stratégie pour asphyxier l’économie de son ennemi. Sans électricité les industries tournent au ralenti, les Ukrainiens deviennent déconnectés du monde et la situation pourrait être bien plus critique cet hiver, dans une région où les températures chutent.
L’Europe assure en grande partie l’approvisionnement manquant par le biais de la Pologne. Depuis janvier 2023, les importations d’électricité en provenance de l’UE ont triplé de 500 MWh à 1,7 GWh, mais elle est souvent achetée au prix fort. L’Union Européenne a également envoyé une dizaine de générateurs d’une capacité d’1 MWh, soit la consommation d’un petit hôpital. D’autres pays membres ont aussi fourni des générateurs plus petits pour pallier les coupures de courant.
L’offensive ukrainienne affole les marchés
L’incendie dans la centrale nucléaire est concomitant à la première offensive terrestre de Kiev en Russie le 8 août. Après avoir ordonné l’évacuation de plus de 13 000 personnes dans l’oblast frontalier de Koursk, Vladimir Poutine a annoncé une « forte réponse » à cette incursion.
C’est dans cette zone et particulièrement à Soudja que transite le gaz à destination de la Moldavie, la Hongrie, la Slovaquie, ou l’Italie. Des combats se sont même déroulés à proximité des installations, sans remettre en cause le transport assure le géant russe Gazprom.
Après l’offensive, les prix se sont envolés. L’indice TTF néerlandais a atteint 42,606€ le mégawattheure le 12 août, son niveau le plus élevé depuis l’hiver dernier.
Pourquoi l‘UE continue d’importer du gaz russe ?
Depuis le début du conflit, l’Union Européenne a imposé une série de sanctions à la Russie sans pouvoir inclure le gaz. La seule sanction gazière sur laquelle les 27 se sont accordés est l’interdiction des ports européens aux méthaniers russes en route vers l’Asie. Une sanction plus symbolique qu’efficace car le cabotage ne représente que 10% des exportations de GNL du pays et ne remet pas en cause les importations pour une consommation interne
Si le combustible russe représentait environ 38% des importations européennes en 2021, il ne représentait que 8% en 2023, 15% si l’on ajoute le GNL. L’UE s’est engagée à s’émanciper totalement de ce fournisseur d’ici 2027. L’objectif s’annonce difficile alors que la dépendance est forte tant en termes d’infrastructure que de prix attractif.
Les exportations de Gazprom vers l’Europe augmentent d’ailleurs de 23% entre juin 2024 et juin 2023, assure dans un rapport Thierry Bros, professeur à Sciences Po Paris et expert des questions énergétiques.
Quels pays fournisseurs pourraient remplacer la Russie ?
Si la Norvège et les Etats-Unis ont été des remplaçants de premier ordre, ils pourraient diminuer leur offre. Joe Biden a adopté un moratoire sur les nouveaux sites de construction destinés à l’exportation de GNL et les perspectives sont minces du côté d’autres potentiels fournisseurs.
« La Norvège souhaite imposer son prix, l’Algérie n’a pas énormément de réserves supplémentaires et une consommation en hausse et l’Azerbaïdjan n’est pas un régime extraordinaire », résume Thierry Bros.
En attendant, Kiev tente aussi d’accélérer le processus. L’entreprise ukrainienne Naftogaz a annoncé qu’elle ne renouvellera pas son contrat de transit avec Gazprom qui expire à la fin de l’année 2024. Une hypothèse à laquelle ne croit pas le spécialiste « cela rapporte 1 md € par an à l’Ukraine. Ils en ont besoin ».
L’annonce suffit à inquiéter les premiers bénéficiaires dont la Slovaquie qui a évoqué l’idée de créer un consortium européen pour reprendre l’acheminement de la frontière russo-ukrainienne jusqu’en Europe. Une autre alternative serait de faire passer ce gaz via Turkstream qui passe par la Turquie puis arrive en Hongrie. « Mais la Turquie veut créer un hub gazier et nous le revendre. Ils savent qu’ils ne rentreront pas dans l’UE et ne vont pas nous faire de cadeaux », nuance l’expert.
La Hongrie à la tête de l’UE, une relation tendue avec Kiev
La Hongrie importe également 70% de son gasoil de Russie. La décision du gouvernement ukrainien fin juin, de couper le flux de l’entreprise Lukoil menace directement l’apport énergétique de l’Etat magyar et dans une moindre mesure son voisin slovaque.
Les relations avec l’Ukraine étaient déjà tendues et pourraient s’accentuer alors que la Hongrie dirige la Présidence du Conseil de Union Européenne. Le voyage de Viktor Orbán à Moscou en début de mandat n’avait guère plu aux hauts commissaires européens et provoqué l’ire de Zelensky.