Électricité post Arenh : une réforme qui fait débat

Guillaume Bauza
Guillaume Bauza
Publié le
12/4/2024
Modifié le
12/4/2024
Temps de lecture : 3 mn

Table des matières

assemblée nationale

Bruno Le Maire, Ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté Industrielle et Numérique, a présenté le cadre de la nouvelle réforme post ARENH qui prend fin le 31 décembre 2025. Ce nouveau dispositif est censé protéger les consommateurs professionnels et particuliers en cas de crise énergétique mais aussi de financer la rénovation d’EDF et accroître sa compétitivité.

Un prix moyen de l’électricité d’origine nucléaire supérieur à 70 €/MWh…

Qualifié de complexe voire désavantageux par l’ensemble des acteurs avec un tarif très éloigné des premières estimations de la CRE, le nouveau mécanisme d’encadrement des prix du nucléaire pose un nouveau cadre de régulation :

  • Un prix moyen de référence à 70 €/MWh sur 100% de la production nucléaire contre 42 €/MWh avec un volume de 100 TWh aujourd’hui.
  • Un premier palier de régulation dès que les prix de vente sur le marché européen dépasseront 78 à 80 €/MWh. Dans ce cas, l’État prélèvera 50% de la rente du producteur d'électricité qui sera redistribuée aux consommateurs
  • Un second palier est fixé à 110 €/MWh avec cette fois 90% de la rente captée par l’État.
  • Une révision des niveaux de taxation d’EDF tous les 3 ans.

Quels sont les effets sur la facture des entreprises ?

Ce nouveau dispositif est également basé sur des contrats à long terme (5 ans) avec les industriels afin de leur apporter une meilleure visibilité sur les coûts de l’électricité. Cependant, avec cette réforme de l’électricité nucléaire, l’État français s’engage à stabiliser la facture et non à la faire baisser.

Nuance qui fait débat puisque certaines corporations dont la CLEEE, association des grands consommateurs industriels et tertiaires français d’électricité et de gaz, estiment que cette nouvelle donne est “redoutablement complexe, entraînant l’impossibilité pour les entreprises d’anticiper leurs coûts et de planifier leurs investissements (...), un grand pas en arrière pour les entreprises françaises”.


Ils tiennent d’ailleurs à rappeler qu’à ces prix là, aucune industrie française ne sera compétitive. En effet, pour comparaison, outre-atlantique et en Chine, le prix du MWh d’électricité nucléaire est largement inférieur à 70 €. Là-bas, certains industriels se fournissent à un prix de 35 $/MWh en moyenne.

Une réforme, des polémiques…

Même si certains industriels énergo-intensifs parviennent à obtenir des contrats attractifs, le flou persiste sur les modalités d’accès à l’électron nucléaire des fournisseurs alternatifs qui voudraient s’approvisionner chez EDF. La concurrence n’ayant pas été concertée en amont de cette réforme, cette dernière estime qu’elle  pose un problème de concurrence déloyale.

En effet, grâce à ses contrats à long terme sur 10, 20 ou 30 ans signés auprès d’ EDF, l’entreprise publique risque de s’approprier une trop grande majorité des industriels mettant à mal les fournisseurs alternatifs. Certains vont même jusqu'à dire que cette réforme a été scandaleusement négociée dans l’ombre ou parlent d’impôt déguisé. Dire que cette nouvelle réforme fait débat est sans doute un euphémisme… Extraits : 

Dans le plus parfait secret et en ne consultant personne, ce qui est une première pour le régulateur, la CRE a rendu un rapport qui ne saurait tromper qui que ce soit. Il s’agissait de contester, assez vaguement, les prétentions exorbitantes d’EDF pour qu’ensuite un prix compris entre 60 et 70 euros puisse être considéré comme normal (il ne l’est pas). L’étude de la CRE permet tout de même de mettre en exergue les deux variables sur lesquelles l’État se permet d’imposer ce prix excessif. (...) Enfin, il faut souligner l’absence totale de consultation de toutes les parties prenantes. L’État et EDF ont négocié le nouveau prix du nucléaire sans aucune consultation extérieure alors même que depuis le printemps les associations de consommateurs proposaient un débat approfondi sur la gestion du nucléaire. Ce procédé est inadmissible et produit un résultat qui augmentera injustement la facture des ménages de plus de 10 %. Nous n’aurons donc de cesse de le contester par tous les moyens à notre disposition.”
CLCV (Consommation Logement, Cadre de Vie)

Alors que le président de la République avait promis aux consommateurs français un prix de l’électricité stable, prévisible, et proche des coûts de production, la réforme du marché de l’électricité annoncée ce matin par le gouvernement ne répond à aucun de ces objectifs. (...) Au-delà des déclarations de nos ministres, les entreprises vont faire leurs calculs. Il est peu probable qu’un prix de la régulation en forte hausse et une exposition résiduelle de près de 40% aux prix du gaz et du carbone soient de nature à renforcer l’attractivité de notre pays. Il est improbable que ce signal incite entreprises et particuliers à remplacer leur consommation fossile par une consommation électrique..
Cleee (Comité de liaison des entreprises consommatrice d’électricité)
“Au regard de ces constats, l’UFC-Que Choisir :

  • Demande au gouvernement de rendre publics sans délai tous les éléments économiques ayant conduit à fixer le prix du nucléaire à 70 €/MWh ;
  • Demande en tout état de cause que ce tarif soit fixé sur la base d’une méthodologie discutée dans la transparence avec toutes les parties prenantes, tout comme le cadre général de la nouvelle régulation ;
  • Appelle les parlementaires à agir lors des discussions parlementaires sur la nouvelle régulation de l’électricité pour assurer aux consommateurs qu’ils pourront tous bénéficier de tarifs réellement représentatifs des coûts de production de l’électricité en France.”

Que retenir ? 

Aujourd'hui, si ce n'est que le nouveau prix de l'électricité d'origine nucléaire voit son coût de production (et de vente) quasiment doublé, passant de 42€/MWh à "environ" 70€/MWh pour toute la production nucléaire disponible, et que la méthode de fixation des prix, toujours basée sur un modèle marginaliste (le coût du dernier MWh produit détermine le prix de tout le marché), c'est le flou qui demeure.

Au-delà de l'annonce, les modalités d'applications restent floues. La visibilité amenée par ce futur dispositif est donc réduite pour la majorité du tissu économique français : les TPE sont protégées par l'extension du TRVE, et ce peu importe le segment ; les grands consommateurs négocieront en direct avec EDF et les fournisseurs alternatifs. Entre ces deux catégories, les PMI/ETI sont en peine.

In fine, cette réforme a inévitablement besoin d’une plus grande clarté à tous les niveaux avant sa mise en place le 1er janvier 2026…
Notons que l’Union européenne n’a pas encore donné son accord définitif au sujet de la redistribution de la rente sur l’électricité nucléaire.

Mais selon certaines sources ce nouveau système serait déjà validé... Au-delà de la nécessaire validation de la Communauté Européenne, une consultation publique doit être lancée auprès des acteurs énergétiques français et des parlementaires d’ici l’été 2024. Affaire à suivre de près…

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